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Ellen Semen Menu

Les tourments du corps humain

Autor: Claude Lorent am - La Libre Belgique

Art Actuel - Critique

A Eupen, l'Ikob a rassemblé dix-huit plasticiens autrichiens contemporains.
De la peinture à la vidéo, une violente introspection de l'humain.

De Egon Schiele aux actionnistes viennois, l'art autrichien a fréquemment investigué du côté du corps humain en ses tourments et non sans violence. Le rapport aux «s» de sexe, de sang, de sacré même, de sacrifice et de souffrance, y est intense dans un questionnement sur le soi et sur l'identité. On pouvait se demander si la jeune génération allait perpétuer cette investigation provocatrice, voire éprouvante dans la mesure où elle a parfois exigé, chez Nitsch ou Schwarzkogler par exemple, un engagement physique. Sans ambages, la réponse est positive si l'on se base sur l'exposition organisée en ce moment à l'Ikob à Eupen.

L'actionniste

Bien entendu il s'agit du choix du commissaire de l'exposition, Francis Feidler qui, afin de bien asseoir la vision qu'il livre de la création plastique autrichienne, a fait appel à quelques figures de proue comme Hermann Nitsch, l'ancien actionniste qui justement introduisait la notion de sacré à travers des performances presque rituelles, comme Günter Brus et son impressionnante série de dessins, comme Arnulf Rainer et ses multiples portraits de Van Gogh rageusement retouchés et pour ainsi dire lacérés par les traits picturaux. Le rapport à l'oeuvre du peintre hollandais y est aussi évident que celui à sa personnalité. Une telle démarche n'a rien de gratuit.

Bien entendu, pas plus en Autriche qu'ailleurs, l'art n'y est uniforme. D'autres tendances s'y manifestent, mais celle-ci reste prépondérante et même un Erwin Wurm avec ses voitures boursouflées et ses photos à la fois drôles et pitoyables, n'y échappe pas. Il n'est aucune demi-mesure en cet engagement d'une expressivité bouleversant les limites des goûts, non pour choquer, encore que ce puisse être le cas, mais pour atteindre le fond des questionnements. C'est à la hache que Karin Frank sculpte ses hommes et femmes dans le bois qui saigne ou se rebelle, et c'est dans le contraste forcé du noir et blanc photographique que Michaela Moscouw propose ses silhouettes, alors que le rouge, est-il de sang, de violence, de colère ou de passion, que peint Adolf Fohner en un style que l'on aurait pu croire passéiste alors qu'il manifeste ici sa puissance.

L'ensemble de l'exposition laisse l'étrange impression que la plupart des oeuvres échappent aux normes esthétiques actuelles tout en appartenant au langage bien contemporain. Probablement parce qu'elles transgressent les codes plus ou moins établis en les mélangeant, en les court-circuitant, en les faisant sortir de leurs dernières réserves, de leurs pudeurs, mais sans faire oublier totalement qu'elles sont là.

Ainsi les petits dessins et les peintures de Ellen Semen, partagées entre les guerriers de dessins animés et les fleurs, jouent-ils de plusieurs registres non sans ironie, tout comme les maquettes un peu gauches, mal foutues, entre rêve paradisiaque et cimetière, de Thomas Stimm, ou ces photos floues plus convenues d'Eva Schlegel, ou encore ces photos sobres de nudité féminine, associées à des roses peintes d'un rouge sang: fort et énigmatique!

Outre la vidéo dérangeante de ManfreDU SCHU, l'oeuvre la plus marquante de l'ensemble est celle d'une femme, Elke Krystufek, qui semble avoir pris le relais des performances les plus osées des années soixante, mais en versant féminin, «introspectant» son corps, sa sexualité, tout en traitant de la famille, des rapports aux autres, de la solitude...

Le social, le physique, le psychique, se brassent dans des peintures, des installations et des prestations en public ou filmées dans lesquelles corps et sang, fantasmes sexuels débordent des frêles alcôves.

«Un art autrichien au point du débordement. Dix-huit plasticiens contemporains.» Ikob, musée d'Art contemporain, Loten 3, Eupen. Jusqu'au 18 juin. Tous les jours de 13 à 18h. Fermé le lundi.

© La Libre Belgique 2006